Réflexions autour des situations psychologiques post AVC

Introduction

La clinique post AVC offre fréquemment le tableau d’une situation psychologique complexe (où s’entremêlent angoisse de récidive, anxiété, peur du handicap, de la dépendance, fatigue, dépression post AVC/AIT, vulnérabilité vécue au présent, atteinte narcissique) dont il est souvent difficile de comprendre les tenants et les aboutissants. Nous manquons d’une conception d’ensemble des phénomènes observés après un AVC.

Certaines études médicales menées auprès de patients victimes d’AVC/AIT comparent les résultats obtenus lors des entretiens post–AVC aux propositions de manuels diagnostiques comme le DSM. La fragilité psychique de ses patients est évoquée – classifiée – en termes de dépression ou encore d’Etat de Stress Post Traumatique. La mise à jour des prévalences de certains troubles est certes un argument nécessaire mais n’est en rien un scoop pour tout clinicien ayant une expérience avec ces patients. De plus, l’approche diagnostique n’apporte pas grand-chose qui puisse aider à une compréhension globale des remaniements psychiques qui s’imposent à ces patients.

Ce post a pour ambition de proposer quelques réflexions libres et développements inspirés par la clinique et les principales plaintes émises par les patients.

L’ « angoisse » de récidive en question.

Le risque de récidive est un sujet très présent dans le discours de patients victimes d’AVC ou d’AIT. Leur peur de récidiver est une expérience pénible pouvant aboutir à une véritable déstabilisation psychologique.

Ce dont il est souvent question, c’est du cortège de perspectives liées à l’AVC. Reviennent presque systématiquement dans leurs discours, la peur du handicap, de la dépendance ou de l’exclusion sociale.

Perceptives inquiétantes certes, mais beaucoup d’autres pathologies sont également porteuses de ces éventualités (la SEP par exemple) sans pour autant être l’objet d’un tel investissement de la part des patients. Ces éléments m’ont amenés à interroger la nature de leurs angoisses au-delà des seules perspectives liées à un éventuel nouvel l’AVC.

            L’angoisse est d’abord une expérience du corps, tachycardie, dyspnée, spasmes, sueurs, paniques. Un corps lieu d’une expérience intime de soi-même, un lieu de sensation. En tant qu’expérience du corps, l’angoisse est une énergie non liée, (non traitée psychiquement). Depuis cette définition stricte, il ne saurait exister « d’angoisse de … ». Lorsque l’angoisse est rattachée à un objet, elle change de statut pour devenir une peur. Partant de cette définition, il ne saurait y avoir d’ « angoisse de récidive » mais seulement une « peur de la récidive ».

Néanmoins, la massivité des phénomènes anxieux de certains patients semble d’une autre nature que la simple peur. La perte de sommeil, les vérifications systématiques, la surévaluation morbide des risques de récidives et la persistance de ces manifestations sont autant de signes nous indiquant un traumatisme psychique et nous rappellent une évidence parfois oubliée : Les victimes d’AVC sont des accidentés.

Certes, la possibilité d’un futur AVC qui laisserait le patient handicapé et dépendant est une perspective qui a de quoi faire peur. Néanmoins ces craintes sont déjà, du point de vue psychologique, secondarisées. Il convient certainement de garder à l’esprit que l’ « expérience de l’AVC » a constitué pour certains patients une expérience de sidération accompagnant une brutale perte de contrôle et de maîtrise de son corps, une expérience existentielle majeure. De cette sidération peuvent résulter des phénomènes d’angoisse qu’il convient de rapporter à un après-coup traumatique.

Ce que nous avons pour habitude de nommer « angoisse de récidive », semble ainsi comporter deux aspects. Le premier (secondarisé et logique) concerne la peur et porte sur les conséquences d’un éventuel futur AVC (handicap, dépendance …). le second, plus direct et primaire, concernerait l’AVC en tant qu’expérience de sidération (non encore assimilée et source d’angoisse). Le moment de la rupture du crin de cheval qui retient l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de l’accidenté vasculaire est un moment craint en tant que tel : La crainte d’un choc brutal dans une situation d’impréparation.

Le statut du symptôme, un positionnement clinique.

L’étude allemande relevant la fréquence d’un ESPT fonde son diagnostic sur un repérage de symptômes parmi lesquels, « des stratégies d’adaptation inadéquates », « de culpabilité » », ou « une surévaluation du risque d’AVC ». L’approche des chercheurs repère des manifestations qu’ils estiment indésirables car « inadéquates ».

Selon moi, aucun de ces symptômes ne mérite une telle disqualification.  Qu’il s ‘agisse de la « surévaluation du risque d’AVC », des « stratégies d’adaptation inadéquates » ou encore de la « culpabilité ». L’angoisse traumatique – en tant que manifestation corporelle pénible – constitue pour le sujet une demande impérative de traitement. Depuis ce point de vue, les symptômes qui en découlent nous donne à observer des stratégies diverses des patients visant à solidifier l’attache retenant l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête.

L’exemple de la culpabilité

Le sentiment de culpabilité est souvent considéré comme un indésirable. Pourtant dans un cadre traumatique (mais pas uniquement) ce sentiment remplit une fonction essentielle. La culpabilité est un récit fictionnel dans lequel le sujet joue un rôle actif. Dans les cas qui nous intéressent, elle offre un contrepoint à la sidération (passivité). « Si j’avais fait ceci plutôt que cela », « si j’avais écouté les signaux qui … »  sont des récits qui rétablissent le sujet en tant qu’acteur et non plus seulement en tant que spectateur sidéré des bouleversements qui l’atteignent. Cette position active offre aussi une réponse fantasmatique au risque de revivre cette expérience… « En tant qu’acteur, la suite (la récidive) dépendra de moi et de mes attitudes ». Il s’agit donc, me semble-t-il, d’entendre le sentiment de culpabilité dans sa fonction tout en restant vigilant à sa massivité et au risque que ce sentiment soit au centre d’une dépréciation de soi.  Il s’agit donc d’entendre la culpabilité comme un récit.

Écritures psychiques d’une « histoire de la maladie ».

La reprise et l’investissement des explications données par le médecin et des traitements prescrits permettent souvent de réaliser une liaison psychique satisfaisante. Le sentiment que les médecins ont identifié les causes de l’accident permet une historicisation de l’événement AVC et l’investissement du traitement prescrit est suffisant tenir à distance le risque de récidive. Cette reprise du discours d’un autre, au niveau psychique a le statut d’un récit à soi-même. La plainte initiale de ces patients est d’ailleurs souvent qu’ils ne comprennent pas et qu’on ne leur explique pas suffisamment, un fort transfert sur la personne du médecin est généralement de mise.

Aux côtés d’une reprise efficace du discours médical s’inscrivent fréquemment – pour peu que l’on offre un cadre favorisant leur expression – des explications plus personnelles « C’est parce que je suis hyper tendu au boulot », « c’est suite à mon divorce », « parce que je gardais ce qui n’allait pas à l’intérieur et j’ai pété un câble ». Dès lors que nous écoutons ces récits comme des tentatives de liaison, peu importe pour le psychologue que ces explications soient fausses du point de vue médical. Quand bien même le patient s’illusionnerait sur les « causes » de son AVC, cette illusion permet l’émergence d’un récit et d’effectuer un tissage là où il n’y avait que de l’angoisse. La « vérité » du discours qu’il se tient à lui-même est secondaire au regard de sa fonction (bénéfique) quant à l’angoisse. Par exemple, rien ne vient corroborer l’idée de M. X que son divorce soit la cause de son AVC, pourtant son récit lui permet d’effectuer la relance d’une narrativité qui lui permet l’inscription du « moment AVC » dans une certaine logique subjective.

Aussi, et quand bien même cette histoire ne semble pas liée avec l’AVC/AIT, elle constitue un point d’appui qu’il s’agit de soutenir dans une perspective psychothérapeutique. Plus encore, dans les cas ou l’appréhension panique d’une nouvelle « expérience AVC » devient un point de focalisation. Un geste thérapeutique pertinent peut consister à ouvrir un autre front, par un détour interrogeant la situation personnelle « pré-AVC ». En d’autres termes, il s’agit de briser la polarisation traumatique durant l’entretien psychologique. Nous constatons que cette « technique » de frayage est souvent le point de départ d’un récit de soi-même permettant – parfois assez rapidement –  une mise en perspective du choc psychique de l’AVC  devenu comme un trou noir attirant l’ensemble des pensées du patient.

Parmi les stratégies défensives, le recours phobique m’a semblé pouvoir être l’objet d’une réflexion particulière. A lire ici =>

 

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