Le traumatisme psychologique dans la clinique post-AVC

Ce texte est à l’origine un support de formation écrit à l’attention des équipes amenées à intervenir en service de neurologie (Infirmier.e.s, aides-soignant.e.s, kiné et ergothérapeutes, médecins)

Introduction 

Dans les premiers temps de la prise en charge post-AVC en service de soins aigus, il est souvent donné aux soignants d’observer des phénomènes épisodiques qui disparaissent la plupart du temps rapidement (état de choc, agitation, terreur, pleurs, expression dépressive, renoncement jusqu’à déclarer une « envie » de mourir). Ce sont là des phénomènes de nature traumatique qu’il convient certes de surveiller attentivement mais qui peuvent aussi être entendus comme étant des « remaniements psychiques d’urgence », des défenses nécessaires et efficientes pour surmonter le choc de l’accident. A situation exceptionnelle, recours exceptionnel pourrait-on proposer plutôt que de « pathologiser » trop rapidement ces phénomènes. A ce stade de la prise en charge, la présence et l’écoute sont des outils souvent suffisants pour des symptômes qui disparaissent spontanément la plupart du temps.

D’autres phénomènes psychologiques plus durables leur font parfois suite.  Là encore, il est nécessaire de prendre le temps de l’observation. D’une manière générale, les troubles psycho-traumatiques que pourrait entraîner un AVC ne peuvent, selon moi, être l’objet d’une première évaluation qu’après un certain délai (deux à trois semaines après le retour à domicile permettent, à mon sens, un premier repérage).

C’est en contraste avec ma pratique auprès des patients atteints de sclérose en plaque (SEP) que j’ai été amené à réfléchir à la dimension traumatique parfois à l’œuvre chez les patients victimes d’AVC.

D’une manière formelle, les discours et les plaintes des patients se ressemblent. Dans les deux cas il est question de la peur du handicap, de la dépendance ou de l’exclusion sociale. La différence se fait au niveau du rapport à ces perspectives redoutées. Là où pour la SEP elles s’inscrivent, le plus souvent, dans le long terme, c’est l’aspect soudain de l’AVC et son imprévisibilité qui occupent le devant de la scène psychique.

En vérité, il apparaît que ce qui est craint n’est pas uniquement un éventuel handicap ou la dépendance mais une crainte de revivre, à tout moment, « l’expérience AVC ». Cette crainte se manifeste parfois par des phénomènes anxieux (crise de panique) et la mise en place de stratégies coûteuses pour s’en défendre (état de sur-vigilance entraînant une perte de sommeil, évitement, déni… etc.).

Ce qui semble perdu pour ces patients est une certaine « insouciance » dans ce sens que, même si l’on « sait » que nous sommes mortels, c’est une condition qui n’occupe généralement pas l’ensemble de nos pensées. Pour les victimes d’AVC, la vulnérabilité, qui jusqu’à présent était un savoir intellectuel, devient un sentiment palpable qui implique le corps à travers des phénomènes d’angoisse faisant écho à l’expérience traumatique vécue lors de l’attaque cérébrale.

Signes cliniques du TSPT 

Les symptômes du TSPT (troubles du stress post-traumatique) sont classiquement répartis en trois groupes distincts.

Le premier groupe de symptômes concerne les phénomènes d’intrusion de pensées traumatiques dans le cours dit « normal » de la vie psychique, il se caractérise principalement par

  • Reviviscence de l’événement traumatique
  • Flash-Back
  • Cauchemars

Un second groupe concerne l’évitement

  • Évitement des situations et/ou lieu en rapport avec l’événement
  • Refus de parler
  • Amnésie
  • Replis sur soi, retrait social
  • Déni

Un troisième groupe concerne la vigilance.

  • Hyper vigilance
  • Troubles du sommeil
  • Difficulté de concentration, nervosité
  • Détresse psychique

Il semble important de situer ce repérage dans une définition d’ensemble la fonction « normale » de l’appareil psychique.

Fonction de l’appareil psychique et traumatisme

L’appareil psychique à pour fonction de traiter un ensemble de stimuli aussi bien internes qu’externe.

Depuis cet angle, le traumatisme psychologique se situe à l’endroit où le traitement des stimuli par l’appareil psychique est en échec en raison de leur massivité et/ou de leur répétition.  C’est-à-dire, lorsque un ou des événements excèdent les capacités de traitements de l’appareil psychique. C’est lorsque qu’on arrive à ce point rupture, cette surcharge, que sont susceptibles d’apparaître les symptômes décrits précédemment.

La survenue d’un traumatisme est favorisée par le caractère soudain d’un événement dans une situation d’impréparation psychique.

Dans certaines approches contemporaines, il est question d’un « défaut d’intégration corticale » (c’est à dire l’idée d’un cerveau dépassé par l’événement dans sa capacité de traitement de l’information, datation). Cette représentation du cerveau humain sur le modèle de la machine est, de mon point de vue, largement insuffisante pour entendre toute la complexité du sujet. La dimension psycho-affective me semble mériter d’être largement pris en compte.

Causes possibles de traumatisme psychologique

Parmi les causes possibles de traumatismes psychiques nous trouvons absolument tout ce qu’un à quoi un être humain peut être confronté : On en trouve une liste on ne peut plus exhaustive sur la page Wikipédia consacrée au Traumatisme Psychologique :

Perte d’un être proche, viol ou autre abus sexuel, harcèlement moral, violences conjugales, endoctrinement, victime de l’alcoolisme, menace ou témoin d’un événement traumatisant, particulièrement durant l’enfance, traumatismes précoces, troubles de l’attachement. Des événements tels que les catastrophes naturelles séismes et éruptions volcaniques, les guerres ou autres violences aggravantes peuvent également contribuer à un traumatisme psychique. Une exposition à long terme à des situations telles que la pauvreté ou autres formes d’agression comme les humiliations et agressions verbales, peuvent être traumatisantes.

C’est là l’une des absurdité de la démarche diagnostique qui se repère par les manifestations symptomatiques. Cet ensemble de causes est tellement large qu’un besoin de distinction se fait immédiatement jour.  

Est-ce que la pauvreté comme cause de traumatisme peut être mise sur le même plan qu’un traumatisme faisant suite à un viol ? A mon sens, absolument pas. C’est pour cette raison que les traumatismes faisant suite à l’un ou l’autre méritent un intérêt particulier et doit être pensé dans sa singularité. 

Inégalités devant le traumatisme

On lit dans le Manuel MSD On ignore pourquoi le même événement traumatique peut ne provoquer aucun symptôme chez une personne et entraîner un TSPT à vie chez une autre. On ne sait pas non plus pourquoi certaines personnes subissent le même traumatisme, ou y assistent, de nombreuses fois pendant des années sans développer de TSPT, mais développent le trouble à la suite d’un épisode apparemment similaire.  

Cette ignorance des variations observables d’un individu à l’autre, illustre l’aveuglement de la psychiatrie moderne à vouloir considérer les individus dans leur histoire singulière mais uniquement en fonction de l’événement traumatique sans considération sur le terrain psychique dans lequel il intervient. Pourtant, le traumatisme ne saurait s’évaluer en fonction de la gravité des événements qui ont touchés le sujet mais depuis de la souffrance que le patient exprime et de ses symptômes. Nous devons dès lors conclure que ni la qualité de l’événement, ni sa massivité ne permettent d’éclairer complètement les phénomènes traumatiques.

Il faut insister donc sur ce point qu’il n’y a pas de lien systématique entre la gravité de l’AVC entendu d’un point de vue neurologique (imagerie ou même depuis les symptômes) avec l’ampleur des phénomènes traumatiques. Du point de vue psychologique, il n’y a pas de petit AVC.

Néanmoins on peut soupçonner que la forme d’AVC et la forme des symptômes et les modalités de leur apparition (progressive, soudaine) puissent être des variables pertinentes.

Dans une optique de repérage d’un possible traumatisme psychique,  il semble judicieux d’interroger les modalités d’apparition des symptômes lors de l’AVC. Le caractère soudain doit nous alerter sur une possibilité accrue de traumatisme psychique. Dès lors que le lien entre l’importance de l’évènement et le traumatisme ne peut plus être entendu systématiquement dans une relation directe, la question qui se pose alors est celle de la situation psychologique du patient avant l’AVC.

État de stress post traumatique ou névroses traumatiques ?  

Après quelques entretiens avec des patients présentant des signes d’un trauma se distinguent assez nettement deux cas.

D’une part ceux dont les symptômes post-traumatiques s’estompent rapidement et sont à même de retrouver l’ « insouciance » telle que nous l’avons définie plus haut (Cette dernière n’a rien à voir avec une négligence des prescriptions médicales). Ils mettent généralement un terme rapidement à l’offre de soins psychologiques.

D’autre part ceux dont les symptômes demeurent. Après quelques entretiens il apparaît souvent qu’une pathologie d’ordre névrotique* qui préexistait à l’événement traumatique. C’est pourquoi je préfère le terme de névrose traumatique* à celui d’état de stress post-traumatique*. En d’autres termes l’événement traumatique est rarement l’unique cause de la persistance des symptômes.

DÉFINITIONS

*La névrose peut se définir comme une affection caractérisée par des troubles affectifs et émotionnels sans cause anatomique, et intimement liée à la vie psychique du sujet.  A ces troubles le sujet à recours à différentes stratégies défensives. Par exemple par des tentatives de maîtrise (névrose obsessionnelle, rituels, TOC …etc) ou encore en mettant en scène son désir à travers les autres (névrose hystérique). La névrose se caractérise par la répétition des situations. La distorsion du réel est peu marqué chez le névrosé, cette distorsion est marquée par le doute et une conscience d’en souffrir et que « quelque chose ne va pas ». Notons que ces derniers éléments sont manquants dans la psychose. Dans ce cas la certitude se substitue au doute.

*Le trouble de stress post-traumatique est une réaction psychologique consécutive à une situation durant laquelle l’intégrité physique ou psychologique du patient, ou celle de son entourage, a été menacée ou effectivement atteinte. … J’ajouterai pour l’AVC « s’est senti menacé ».

* La névrose post traumatique est à la jonction des deux concepts. L’étiologie est donc multifactorielle et prend sa source tout autant dans un terrain psychologique fragile et dans l’événement traumatique qui en révèle la précarité.

Spécificités et difficultés du traumatisme psychique lié à l’AVC.

Les phénomènes d’intrusion sont peu présents dans la clinique post-AVC. Il s’agit plus certainement de phénomènes anxieux que de phénomènes d’intrusion à proprement parler et avant tout marqués par la possibilité d’une répétition de l’expérience chez ces patients.

« L’expérience AVC » demeure sous la forme d’une certaine « présence » intermittente ou permanente dans certains cas. Les flashbacks et les cauchemars sont presque systématiquement absents de cette clinique. 

Les stratégies d’évitement suite à un traumatisme sont parfois des recours efficaces. Pour prendre un exemple simple, si quelqu’un a été renversé en traversant la rue au feu rouge. Il peut tout simplement éviter la situation en traversant au vert ! C’est rarement aussi simple en vérité mais c’est un recours souvent impossible dans le cas d’un AVC pour cette raison toute simple que l’accident se produit à l’intérieur du corps. Ce registre d’évitement peut se trouver en échec car il n’y a nulle part où être à l’abri, ni chez soi, ni dehors, encore moins durant le sommeil.

Néanmoins l’évitement n’est pas une stratégie qui s’exprime uniquement dans les registres moteur et spatial. Il est aussi et surtout psychique et s’exprime dans des défenses comme l’amnésie ou le déni. Le traumatisme post-AVC est, pour sa part, surtout marqué par des phénomènes de repli sur soi, de retrait social, de refus de parler (surtout aux proches). A ce propos on peut noter qu’entendre le partage d’expérience d’autres patients victimes d’AVC, par exemple en groupe ETP, peut briser quelque chose de ce repli chez certains patients.

Le troisième groupe de symptômes concerne les troubles de la vigilance. Il est extrêmement présent dans la clinique Post-AVC. L’hyper vigilance, les troubles du sommeil, les difficultés de concentration, la nervosité et la détresse psychique sont les symptômes les plus fréquents et les plus persistant en cas de névrose traumatique.

Le repérage et la prise en charge se trouvent compliquées par ceci que cette symptomatologie recoupe celle possiblement liée à la lésion cérébrale.

Le phénomène anxieux qu’est l’hyper-vigilance entraine des difficultés à se concentrer sur certaines tâches quotidiennes. Or, les troubles de la concentration sont aussi une séquelle possible de l’AVC.

 L’anxiété est aussi une possible source de troubles de la mémoire qui là encore peut être confondu avec un symptôme lié à l’attaque cérébrale.

Cette situation risque de créer un « effet boule de neige » car l’anxiété liée à la crainte de « faire un AVC » crée des phénomènes qui y ressemblent et amplifient le phénomène anxieux.

Ce risque d’« effet boule de neige » semble spécifique à la clinique post-AVC. Ici la complémentarité de la neuropsychologie et de la psychologie clinique est essentielle puisque elles permettent d’opérer un distinguo sur l’origine des symptômes et d’orienter avec plus de pertinence vers les disciplines concernées..   

Étiologie et facteurs de risques de l’AVC du point du vue du patient

La médecine échoue dans 1/3 des cas à établir une étiologie directe des accidents vasculaires cérébraux pour environ un tiers des AVC. La méthode statistique qui prend le relais met l’accent sur les facteurs de risques considérés comme le ou les probables causes de l’attaque cérébrale. La probabilité est bien entendu une variable statistique qui dans bien des cas ne laisse que peu de doute aux médecins sur les causes de l’AVC  (diabète, HTA …etc)

Ce résumé est bien entendu trop simple et très incomplet et j’imagine que les médecins auraient certainement beaucoup de choses à ajouter sur le sujet. Pour ma part, c’est depuis le point de vue des patients et des possibles situations psychologiques qu’elle implique que j’essaye d’introduire la question de l’étiologie directe et des facteurs de risques.

En effet « l’incertitude » (du point de vue du patient) quant aux « causes » de l’AVC peut compliquer le travail l’élaboration qui s’impose à eux après l’accident.

L’ « incertitude » gouverne à un besoin de savoir et de représentation de « ce qui s’est passé à l’intérieur du corps ».

Pour prendre un exemple simple, la représentation d’une occlusion de la carotide est assez facile. Quelques notions de plomberie suffisent à la comprendre. Aussi l’opération de débouchage réussi offre une nouvelle représentation qui devient un possible objet d’investissement qui permet de se mettre à l’abri –  d’un point de vue psychique – d’une possible récidive.

A contrario, le travail psychologique qui vise à retrouver une certaine insouciance est forcément plus difficile lorsque la représentation est moins directe et que l’étiologie est ramenée vers des facteurs de risques.

Rappelons que la capacité d’investir les « facteurs de risques » comme « causes »  dépend d’une situation traumatique intimement liée au terrain psychique antérieur. (Névrose traumatique) 

Interroger les patients sur la représentation qu’il s’est construit de ce qui s’est passé dans son corps et sur les explications que se donne à lui-même lors des RDV en HDJ est un point qui m’apparaît important.

Approche psycho-thérapeutique

Une nécessaire considération du sujet et de son organisation psychique

L’appareil psychique effectue dans la plupart des cas un travail efficace. Les symptômes traumatiques nous indiquent une fonction à l’arrêt ou en difficulté. L’idée d’un soutien psychologique gagne, selon moi, à partir de ce premier point. L’enjeu est surtout de relancer un travail d’élaboration propre à chaque individu. Les façons individuelles d’opérer doivent selon moi être l’objet de la plus grande considération quand bien même elles pourraient nous apparaître étranges ou aberrantes en certains points. Une prise en charge qui insisterait trop sur la logique, le « bon sens », le « conseil » ou « coaching » peut s’avérer contre-productive à moyen terme.

Les phénomènes anxieux trouvent dans la plupart des cas trouver des objets d’investissement satisfaisants. La reprise des explications données par le médecin et/ou un investissement des traitements prescrits est suffisant tenir à distance le risque de récidive.

Les facteurs de risques peuvent également être le support d’un investissement efficace de la part du patient (hygiène de vie, observance des traitements … ) d’autres fois ils ne suffisent pas à satisfaire la quête étiologique.

Soutien à la narrativité

D’autre fois, les discours et les objets d’investissement sont plus personnels. « C’est parce que je suis hyper tendu au boulot », « J’ai fait un AVC à cause de mon divorce ». Ces discours sont peut-être faux d’un point de vue médical, néanmoins il convient de les entendre comme des tentatives de liaison voire comme un traitement de l’angoisse car le patient incorpore l’accident dans son histoire par cette mise en récit.  

Il s’agit avant tout de laisser dérouler et de soutenir cette « mise en récit ». Selon moi, ce serait une erreur de lui dire « un divorce n’est pas une cause d’AVC » quand bien même c’est juste du point de vue médical. Le propre de la narrativité est justement la réécriture. Il n’est pas rare que les explications que trouve un patient changent ou évoluent au fil du temps.

L’exemple de la culpabilité

Par exemple, le sentiment de culpabilité est souvent considéré comme indésirable. Pourtant dans un cadre traumatique (mais pas uniquement) ce sentiment remplit une fonction essentielle. La culpabilité est un récit fictionnel dans lequel le sujet joue un rôle actif. Dans les cas qui nous intéressent, elle offre un contrepoint à la sidération (passivité). « Si j’avais fait ceci plutôt que cela », « si j’avais écouté les signaux qui … »  sont des récits qui rétablissent le sujet en tant qu’acteur et non plus seulement de spectateur des bouleversements qui l’atteignent. Cette position active offre aussi une réponse fantasmatique au risque de revivre cette expérience… « En tant qu’acteur, la suite (la récidive) dépendra de moi et de mes attitudes ». Il s’agit donc, me semble-t-il, d’entendre le sentiment de culpabilité dans sa fonction tout en restant vigilant à sa massivité et au risque que ce sentiment soit au centre d’une dépréciation de soi. Il s’agit donc d’entendre la culpabilité comme un récit. Là encore il s’agit de soutenir le dépliement d’une « histoire de la maladie » (une sorte d’anamnèse personnelle) plutôt que de relever les « incohérences » depuis notre point de vue professionnel.

Quelle que soit sa nature, tout récit que le patient se tient à lui-même sur l’histoire de son accident mérite d’être entendu comme une tentative de liaison. C’est d’autant plus important qu’une dernière définition du traumatisme psychique pourrait se formuler comme celle d’un travail de liaison en souffrance.

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