Le traumatisme psychologique dans la clinique post-AVC

Ce texte est à l’origine un support de formation écrit à l’attention des équipes amenées à intervenir en service de neurologie (Infirmier.e.s, aides-soignant.e.s, kiné et ergothérapeutes, médecins)

Introduction 

Dans les premiers temps de la prise en charge post-AVC en service de soins aigus, il est souvent donné aux soignants d’observer des phénomènes épisodiques qui disparaissent la plupart du temps rapidement (état de choc, agitation, terreur, pleurs, expression dépressive, renoncement jusqu’à déclarer une « envie » de mourir). Ce sont là des phénomènes de nature traumatique qu’il convient certes de surveiller attentivement mais qui peuvent aussi être entendus comme étant des « remaniements psychiques d’urgence », des défenses nécessaires et efficientes pour surmonter le choc de l’accident. A situation exceptionnelle, recours exceptionnel pourrait-on proposer plutôt que de « pathologiser » trop rapidement ces phénomènes. A ce stade de la prise en charge, la présence et l’écoute sont des outils souvent suffisants pour des symptômes qui disparaissent spontanément la plupart du temps.

D’autres phénomènes psychologiques plus durables leur font parfois suite.  Là encore, il est nécessaire de prendre le temps de l’observation. D’une manière générale, les troubles psycho-traumatiques que pourrait entraîner un AVC ne peuvent, selon moi, être l’objet d’une première évaluation qu’après un certain délai (deux à trois semaines après le retour à domicile permettent, à mon sens, un premier repérage).

C’est en contraste avec ma pratique auprès des patients atteints de sclérose en plaque (SEP) que j’ai été amené à réfléchir à la dimension traumatique parfois à l’œuvre chez les patients victimes d’AVC.

D’une manière formelle, les discours et les plaintes des patients se ressemblent. Dans les deux cas il est question de la peur du handicap, de la dépendance ou de l’exclusion sociale. La différence se fait au niveau du rapport à ces perspectives redoutées. Là où pour la SEP elles s’inscrivent, le plus souvent, dans le long terme, c’est l’aspect soudain de l’AVC et son imprévisibilité qui occupent le devant de la scène psychique.

En vérité, il apparaît que ce qui est craint n’est pas uniquement un éventuel handicap ou la dépendance mais une crainte de revivre, à tout moment, « l’expérience AVC ». Cette crainte se manifeste parfois par des phénomènes anxieux (crise de panique) et la mise en place de stratégies coûteuses pour s’en défendre (état de sur-vigilance entraînant une perte de sommeil, évitement, déni… etc.).

Ce qui semble perdu pour ces patients est une certaine « insouciance » dans ce sens que, même si l’on « sait » que nous sommes mortels, c’est une condition qui n’occupe généralement pas l’ensemble de nos pensées. Pour les victimes d’AVC, la vulnérabilité, qui jusqu’à présent était un savoir intellectuel, devient un sentiment palpable qui implique le corps à travers des phénomènes d’angoisse faisant écho à l’expérience traumatique vécue lors de l’attaque cérébrale.

Signes cliniques du TSPT 

Les symptômes du TSPT (troubles du stress post-traumatique) sont classiquement répartis en trois groupes distincts.

Le premier groupe de symptômes concerne les phénomènes d’intrusion de pensées traumatiques dans le cours dit « normal » de la vie psychique, il se caractérise principalement par

  • Reviviscence de l’événement traumatique
  • Flash-Back
  • Cauchemars

Un second groupe concerne l’évitement

  • Évitement des situations et/ou lieu en rapport avec l’événement
  • Refus de parler
  • Amnésie
  • Replis sur soi, retrait social
  • Déni

Un troisième groupe concerne la vigilance.

  • Hyper vigilance
  • Troubles du sommeil
  • Difficulté de concentration, nervosité
  • Détresse psychique

Il semble important de situer ce repérage dans une définition d’ensemble la fonction « normale » de l’appareil psychique.

Fonction de l’appareil psychique et traumatisme

L’appareil psychique à pour fonction de traiter un ensemble de stimuli aussi bien internes qu’externe.

Depuis cet angle, le traumatisme psychologique se situe à l’endroit où le traitement des stimuli par l’appareil psychique est en échec en raison de leur massivité et/ou de leur répétition.  C’est-à-dire, lorsque un ou des événements excèdent les capacités de traitements de l’appareil psychique. C’est lorsque qu’on arrive à ce point rupture, cette surcharge, que sont susceptibles d’apparaître les symptômes décrits précédemment.

La survenue d’un traumatisme est favorisée par le caractère soudain d’un événement dans une situation d’impréparation psychique.

Dans certaines approches contemporaines, il est question d’un « défaut d’intégration corticale » (c’est à dire l’idée d’un cerveau dépassé par l’événement dans sa capacité de traitement de l’information, datation). Cette représentation du cerveau humain sur le modèle de la machine est, de mon point de vue, largement insuffisante pour entendre toute la complexité du sujet. La dimension psycho-affective me semble mériter d’être largement pris en compte.

Causes possibles de traumatisme psychologique

Parmi les causes possibles de traumatismes psychiques nous trouvons absolument tout ce qu’un à quoi un être humain peut être confronté : On en trouve une liste on ne peut plus exhaustive sur la page Wikipédia consacrée au Traumatisme Psychologique :

Perte d’un être proche, viol ou autre abus sexuel, harcèlement moral, violences conjugales, endoctrinement, victime de l’alcoolisme, menace ou témoin d’un événement traumatisant, particulièrement durant l’enfance, traumatismes précoces, troubles de l’attachement. Des événements tels que les catastrophes naturelles séismes et éruptions volcaniques, les guerres ou autres violences aggravantes peuvent également contribuer à un traumatisme psychique. Une exposition à long terme à des situations telles que la pauvreté ou autres formes d’agression comme les humiliations et agressions verbales, peuvent être traumatisantes.

C’est là l’une des absurdité de la démarche diagnostique qui se repère par les manifestations symptomatiques. Cet ensemble de causes est tellement large qu’un besoin de distinction se fait immédiatement jour.  

Est-ce que la pauvreté comme cause de traumatisme peut être mise sur le même plan qu’un traumatisme faisant suite à un viol ? A mon sens, absolument pas. C’est pour cette raison que les traumatismes faisant suite à l’un ou l’autre méritent un intérêt particulier et doit être pensé dans sa singularité. 

Inégalités devant le traumatisme

On lit dans le Manuel MSD On ignore pourquoi le même événement traumatique peut ne provoquer aucun symptôme chez une personne et entraîner un TSPT à vie chez une autre. On ne sait pas non plus pourquoi certaines personnes subissent le même traumatisme, ou y assistent, de nombreuses fois pendant des années sans développer de TSPT, mais développent le trouble à la suite d’un épisode apparemment similaire.  

Cette ignorance des variations observables d’un individu à l’autre, illustre l’aveuglement de la psychiatrie moderne à vouloir considérer les individus dans leur histoire singulière mais uniquement en fonction de l’événement traumatique sans considération sur le terrain psychique dans lequel il intervient. Pourtant, le traumatisme ne saurait s’évaluer en fonction de la gravité des événements qui ont touchés le sujet mais depuis de la souffrance que le patient exprime et de ses symptômes. Nous devons dès lors conclure que ni la qualité de l’événement, ni sa massivité ne permettent d’éclairer complètement les phénomènes traumatiques.

Il faut insister donc sur ce point qu’il n’y a pas de lien systématique entre la gravité de l’AVC entendu d’un point de vue neurologique (imagerie ou même depuis les symptômes) avec l’ampleur des phénomènes traumatiques. Du point de vue psychologique, il n’y a pas de petit AVC.

Néanmoins on peut soupçonner que la forme d’AVC et la forme des symptômes et les modalités de leur apparition (progressive, soudaine) puissent être des variables pertinentes.

Dans une optique de repérage d’un possible traumatisme psychique,  il semble judicieux d’interroger les modalités d’apparition des symptômes lors de l’AVC. Le caractère soudain doit nous alerter sur une possibilité accrue de traumatisme psychique. Dès lors que le lien entre l’importance de l’évènement et le traumatisme ne peut plus être entendu systématiquement dans une relation directe, la question qui se pose alors est celle de la situation psychologique du patient avant l’AVC.

État de stress post traumatique ou névroses traumatiques ?  

Après quelques entretiens avec des patients présentant des signes d’un trauma se distinguent assez nettement deux cas.

D’une part ceux dont les symptômes post-traumatiques s’estompent rapidement et sont à même de retrouver l’ « insouciance » telle que nous l’avons définie plus haut (Cette dernière n’a rien à voir avec une négligence des prescriptions médicales). Ils mettent généralement un terme rapidement à l’offre de soins psychologiques.

D’autre part ceux dont les symptômes demeurent. Après quelques entretiens il apparaît souvent qu’une pathologie d’ordre névrotique* qui préexistait à l’événement traumatique. C’est pourquoi je préfère le terme de névrose traumatique* à celui d’état de stress post-traumatique*. En d’autres termes l’événement traumatique est rarement l’unique cause de la persistance des symptômes.

DÉFINITIONS

*La névrose peut se définir comme une affection caractérisée par des troubles affectifs et émotionnels sans cause anatomique, et intimement liée à la vie psychique du sujet.  A ces troubles le sujet à recours à différentes stratégies défensives. Par exemple par des tentatives de maîtrise (névrose obsessionnelle, rituels, TOC …etc) ou encore en mettant en scène son désir à travers les autres (névrose hystérique). La névrose se caractérise par la répétition des situations. La distorsion du réel est peu marqué chez le névrosé, cette distorsion est marquée par le doute et une conscience d’en souffrir et que « quelque chose ne va pas ». Notons que ces derniers éléments sont manquants dans la psychose. Dans ce cas la certitude se substitue au doute.

*Le trouble de stress post-traumatique est une réaction psychologique consécutive à une situation durant laquelle l’intégrité physique ou psychologique du patient, ou celle de son entourage, a été menacée ou effectivement atteinte. … J’ajouterai pour l’AVC « s’est senti menacé ».

* La névrose post traumatique est à la jonction des deux concepts. L’étiologie est donc multifactorielle et prend sa source tout autant dans un terrain psychologique fragile et dans l’événement traumatique qui en révèle la précarité.

Spécificités et difficultés du traumatisme psychique lié à l’AVC.

Les phénomènes d’intrusion sont peu présents dans la clinique post-AVC. Il s’agit plus certainement de phénomènes anxieux que de phénomènes d’intrusion à proprement parler et avant tout marqués par la possibilité d’une répétition de l’expérience chez ces patients.

« L’expérience AVC » demeure sous la forme d’une certaine « présence » intermittente ou permanente dans certains cas. Les flashbacks et les cauchemars sont presque systématiquement absents de cette clinique. 

Les stratégies d’évitement suite à un traumatisme sont parfois des recours efficaces. Pour prendre un exemple simple, si quelqu’un a été renversé en traversant la rue au feu rouge. Il peut tout simplement éviter la situation en traversant au vert ! C’est rarement aussi simple en vérité mais c’est un recours souvent impossible dans le cas d’un AVC pour cette raison toute simple que l’accident se produit à l’intérieur du corps. Ce registre d’évitement peut se trouver en échec car il n’y a nulle part où être à l’abri, ni chez soi, ni dehors, encore moins durant le sommeil.

Néanmoins l’évitement n’est pas une stratégie qui s’exprime uniquement dans les registres moteur et spatial. Il est aussi et surtout psychique et s’exprime dans des défenses comme l’amnésie ou le déni. Le traumatisme post-AVC est, pour sa part, surtout marqué par des phénomènes de repli sur soi, de retrait social, de refus de parler (surtout aux proches). A ce propos on peut noter qu’entendre le partage d’expérience d’autres patients victimes d’AVC, par exemple en groupe ETP, peut briser quelque chose de ce repli chez certains patients.

Le troisième groupe de symptômes concerne les troubles de la vigilance. Il est extrêmement présent dans la clinique Post-AVC. L’hyper vigilance, les troubles du sommeil, les difficultés de concentration, la nervosité et la détresse psychique sont les symptômes les plus fréquents et les plus persistant en cas de névrose traumatique.

Le repérage et la prise en charge se trouvent compliquées par ceci que cette symptomatologie recoupe celle possiblement liée à la lésion cérébrale.

Le phénomène anxieux qu’est l’hyper-vigilance entraine des difficultés à se concentrer sur certaines tâches quotidiennes. Or, les troubles de la concentration sont aussi une séquelle possible de l’AVC.

 L’anxiété est aussi une possible source de troubles de la mémoire qui là encore peut être confondu avec un symptôme lié à l’attaque cérébrale.

Cette situation risque de créer un « effet boule de neige » car l’anxiété liée à la crainte de « faire un AVC » crée des phénomènes qui y ressemblent et amplifient le phénomène anxieux.

Ce risque d’« effet boule de neige » semble spécifique à la clinique post-AVC. Ici la complémentarité de la neuropsychologie et de la psychologie clinique est essentielle puisque elles permettent d’opérer un distinguo sur l’origine des symptômes et d’orienter avec plus de pertinence vers les disciplines concernées..   

Étiologie et facteurs de risques de l’AVC du point du vue du patient

La médecine échoue dans 1/3 des cas à établir une étiologie directe des accidents vasculaires cérébraux pour environ un tiers des AVC. La méthode statistique qui prend le relais met l’accent sur les facteurs de risques considérés comme le ou les probables causes de l’attaque cérébrale. La probabilité est bien entendu une variable statistique qui dans bien des cas ne laisse que peu de doute aux médecins sur les causes de l’AVC  (diabète, HTA …etc)

Ce résumé est bien entendu trop simple et très incomplet et j’imagine que les médecins auraient certainement beaucoup de choses à ajouter sur le sujet. Pour ma part, c’est depuis le point de vue des patients et des possibles situations psychologiques qu’elle implique que j’essaye d’introduire la question de l’étiologie directe et des facteurs de risques.

En effet « l’incertitude » (du point de vue du patient) quant aux « causes » de l’AVC peut compliquer le travail l’élaboration qui s’impose à eux après l’accident.

L’ « incertitude » gouverne à un besoin de savoir et de représentation de « ce qui s’est passé à l’intérieur du corps ».

Pour prendre un exemple simple, la représentation d’une occlusion de la carotide est assez facile. Quelques notions de plomberie suffisent à la comprendre. Aussi l’opération de débouchage réussi offre une nouvelle représentation qui devient un possible objet d’investissement qui permet de se mettre à l’abri –  d’un point de vue psychique – d’une possible récidive.

A contrario, le travail psychologique qui vise à retrouver une certaine insouciance est forcément plus difficile lorsque la représentation est moins directe et que l’étiologie est ramenée vers des facteurs de risques.

Rappelons que la capacité d’investir les « facteurs de risques » comme « causes »  dépend d’une situation traumatique intimement liée au terrain psychique antérieur. (Névrose traumatique) 

Interroger les patients sur la représentation qu’il s’est construit de ce qui s’est passé dans son corps et sur les explications que se donne à lui-même lors des RDV en HDJ est un point qui m’apparaît important.

Approche psycho-thérapeutique

Une nécessaire considération du sujet et de son organisation psychique

L’appareil psychique effectue dans la plupart des cas un travail efficace. Les symptômes traumatiques nous indiquent une fonction à l’arrêt ou en difficulté. L’idée d’un soutien psychologique gagne, selon moi, à partir de ce premier point. L’enjeu est surtout de relancer un travail d’élaboration propre à chaque individu. Les façons individuelles d’opérer doivent selon moi être l’objet de la plus grande considération quand bien même elles pourraient nous apparaître étranges ou aberrantes en certains points. Une prise en charge qui insisterait trop sur la logique, le « bon sens », le « conseil » ou « coaching » peut s’avérer contre-productive à moyen terme.

Les phénomènes anxieux trouvent dans la plupart des cas trouver des objets d’investissement satisfaisants. La reprise des explications données par le médecin et/ou un investissement des traitements prescrits est suffisant tenir à distance le risque de récidive.

Les facteurs de risques peuvent également être le support d’un investissement efficace de la part du patient (hygiène de vie, observance des traitements … ) d’autres fois ils ne suffisent pas à satisfaire la quête étiologique.

Soutien à la narrativité

D’autre fois, les discours et les objets d’investissement sont plus personnels. « C’est parce que je suis hyper tendu au boulot », « J’ai fait un AVC à cause de mon divorce ». Ces discours sont peut-être faux d’un point de vue médical, néanmoins il convient de les entendre comme des tentatives de liaison voire comme un traitement de l’angoisse car le patient incorpore l’accident dans son histoire par cette mise en récit.  

Il s’agit avant tout de laisser dérouler et de soutenir cette « mise en récit ». Selon moi, ce serait une erreur de lui dire « un divorce n’est pas une cause d’AVC » quand bien même c’est juste du point de vue médical. Le propre de la narrativité est justement la réécriture. Il n’est pas rare que les explications que trouve un patient changent ou évoluent au fil du temps.

L’exemple de la culpabilité

Par exemple, le sentiment de culpabilité est souvent considéré comme indésirable. Pourtant dans un cadre traumatique (mais pas uniquement) ce sentiment remplit une fonction essentielle. La culpabilité est un récit fictionnel dans lequel le sujet joue un rôle actif. Dans les cas qui nous intéressent, elle offre un contrepoint à la sidération (passivité). « Si j’avais fait ceci plutôt que cela », « si j’avais écouté les signaux qui … »  sont des récits qui rétablissent le sujet en tant qu’acteur et non plus seulement de spectateur des bouleversements qui l’atteignent. Cette position active offre aussi une réponse fantasmatique au risque de revivre cette expérience… « En tant qu’acteur, la suite (la récidive) dépendra de moi et de mes attitudes ». Il s’agit donc, me semble-t-il, d’entendre le sentiment de culpabilité dans sa fonction tout en restant vigilant à sa massivité et au risque que ce sentiment soit au centre d’une dépréciation de soi. Il s’agit donc d’entendre la culpabilité comme un récit. Là encore il s’agit de soutenir le dépliement d’une « histoire de la maladie » (une sorte d’anamnèse personnelle) plutôt que de relever les « incohérences » depuis notre point de vue professionnel.

Quelle que soit sa nature, tout récit que le patient se tient à lui-même sur l’histoire de son accident mérite d’être entendu comme une tentative de liaison. C’est d’autant plus important qu’une dernière définition du traumatisme psychique pourrait se formuler comme celle d’un travail de liaison en souffrance.

Réflexions autour des situations psychologiques post AVC

Introduction

La clinique post AVC offre fréquemment le tableau d’une situation psychologique complexe (où s’entremêlent angoisse de récidive, anxiété, peur du handicap, de la dépendance, fatigue, dépression post AVC/AIT, vulnérabilité vécue au présent, atteinte narcissique) dont il est souvent difficile de comprendre les tenants et les aboutissants. Nous manquons d’une conception d’ensemble des phénomènes observés après un AVC.

Certaines études médicales menées auprès de patients victimes d’AVC/AIT comparent les résultats obtenus lors des entretiens post–AVC aux propositions de manuels diagnostiques comme le DSM. La fragilité psychique de ses patients est évoquée – classifiée – en termes de dépression ou encore d’Etat de Stress Post Traumatique. La mise à jour des prévalences de certains troubles est certes un argument nécessaire mais n’est en rien un scoop pour tout clinicien ayant une expérience avec ces patients. De plus, l’approche diagnostique n’apporte pas grand-chose qui puisse aider à une compréhension globale des remaniements psychiques qui s’imposent à ces patients.

Ce post a pour ambition de proposer quelques réflexions libres et développements inspirés par la clinique et les principales plaintes émises par les patients.

L’ « angoisse » de récidive en question.

Le risque de récidive est un sujet très présent dans le discours de patients victimes d’AVC ou d’AIT. Leur peur de récidiver est une expérience pénible pouvant aboutir à une véritable déstabilisation psychologique.

Ce dont il est souvent question, c’est du cortège de perspectives liées à l’AVC. Reviennent presque systématiquement dans leurs discours, la peur du handicap, de la dépendance ou de l’exclusion sociale.

Perceptives inquiétantes certes, mais beaucoup d’autres pathologies sont également porteuses de ces éventualités (la SEP par exemple) sans pour autant être l’objet d’un tel investissement de la part des patients. Ces éléments m’ont amenés à interroger la nature de leurs angoisses au-delà des seules perspectives liées à un éventuel nouvel l’AVC.

            L’angoisse est d’abord une expérience du corps, tachycardie, dyspnée, spasmes, sueurs, paniques. Un corps lieu d’une expérience intime de soi-même, un lieu de sensation. En tant qu’expérience du corps, l’angoisse est une énergie non liée, (non traitée psychiquement). Depuis cette définition stricte, il ne saurait exister « d’angoisse de … ». Lorsque l’angoisse est rattachée à un objet, elle change de statut pour devenir une peur. Partant de cette définition, il ne saurait y avoir d’ « angoisse de récidive » mais seulement une « peur de la récidive ».

Néanmoins, la massivité des phénomènes anxieux de certains patients semble d’une autre nature que la simple peur. La perte de sommeil, les vérifications systématiques, la surévaluation morbide des risques de récidives et la persistance de ces manifestations sont autant de signes nous indiquant un traumatisme psychique et nous rappellent une évidence parfois oubliée : Les victimes d’AVC sont des accidentés.

Certes, la possibilité d’un futur AVC qui laisserait le patient handicapé et dépendant est une perspective qui a de quoi faire peur. Néanmoins ces craintes sont déjà, du point de vue psychologique, secondarisées. Il convient certainement de garder à l’esprit que l’ « expérience de l’AVC » a constitué pour certains patients une expérience de sidération accompagnant une brutale perte de contrôle et de maîtrise de son corps, une expérience existentielle majeure. De cette sidération peuvent résulter des phénomènes d’angoisse qu’il convient de rapporter à un après-coup traumatique.

Ce que nous avons pour habitude de nommer « angoisse de récidive », semble ainsi comporter deux aspects. Le premier (secondarisé et logique) concerne la peur et porte sur les conséquences d’un éventuel futur AVC (handicap, dépendance …). le second, plus direct et primaire, concernerait l’AVC en tant qu’expérience de sidération (non encore assimilée et source d’angoisse). Le moment de la rupture du crin de cheval qui retient l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de l’accidenté vasculaire est un moment craint en tant que tel : La crainte d’un choc brutal dans une situation d’impréparation.

Le statut du symptôme, un positionnement clinique.

L’étude allemande relevant la fréquence d’un ESPT fonde son diagnostic sur un repérage de symptômes parmi lesquels, « des stratégies d’adaptation inadéquates », « de culpabilité » », ou « une surévaluation du risque d’AVC ». L’approche des chercheurs repère des manifestations qu’ils estiment indésirables car « inadéquates ».

Selon moi, aucun de ces symptômes ne mérite une telle disqualification.  Qu’il s ‘agisse de la « surévaluation du risque d’AVC », des « stratégies d’adaptation inadéquates » ou encore de la « culpabilité ». L’angoisse traumatique – en tant que manifestation corporelle pénible – constitue pour le sujet une demande impérative de traitement. Depuis ce point de vue, les symptômes qui en découlent nous donne à observer des stratégies diverses des patients visant à solidifier l’attache retenant l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête.

L’exemple de la culpabilité

Le sentiment de culpabilité est souvent considéré comme un indésirable. Pourtant dans un cadre traumatique (mais pas uniquement) ce sentiment remplit une fonction essentielle. La culpabilité est un récit fictionnel dans lequel le sujet joue un rôle actif. Dans les cas qui nous intéressent, elle offre un contrepoint à la sidération (passivité). « Si j’avais fait ceci plutôt que cela », « si j’avais écouté les signaux qui … »  sont des récits qui rétablissent le sujet en tant qu’acteur et non plus seulement en tant que spectateur sidéré des bouleversements qui l’atteignent. Cette position active offre aussi une réponse fantasmatique au risque de revivre cette expérience… « En tant qu’acteur, la suite (la récidive) dépendra de moi et de mes attitudes ». Il s’agit donc, me semble-t-il, d’entendre le sentiment de culpabilité dans sa fonction tout en restant vigilant à sa massivité et au risque que ce sentiment soit au centre d’une dépréciation de soi.  Il s’agit donc d’entendre la culpabilité comme un récit.

Écritures psychiques d’une « histoire de la maladie ».

La reprise et l’investissement des explications données par le médecin et des traitements prescrits permettent souvent de réaliser une liaison psychique satisfaisante. Le sentiment que les médecins ont identifié les causes de l’accident permet une historicisation de l’événement AVC et l’investissement du traitement prescrit est suffisant tenir à distance le risque de récidive. Cette reprise du discours d’un autre, au niveau psychique a le statut d’un récit à soi-même. La plainte initiale de ces patients est d’ailleurs souvent qu’ils ne comprennent pas et qu’on ne leur explique pas suffisamment, un fort transfert sur la personne du médecin est généralement de mise.

Aux côtés d’une reprise efficace du discours médical s’inscrivent fréquemment – pour peu que l’on offre un cadre favorisant leur expression – des explications plus personnelles « C’est parce que je suis hyper tendu au boulot », « c’est suite à mon divorce », « parce que je gardais ce qui n’allait pas à l’intérieur et j’ai pété un câble ». Dès lors que nous écoutons ces récits comme des tentatives de liaison, peu importe pour le psychologue que ces explications soient fausses du point de vue médical. Quand bien même le patient s’illusionnerait sur les « causes » de son AVC, cette illusion permet l’émergence d’un récit et d’effectuer un tissage là où il n’y avait que de l’angoisse. La « vérité » du discours qu’il se tient à lui-même est secondaire au regard de sa fonction (bénéfique) quant à l’angoisse. Par exemple, rien ne vient corroborer l’idée de M. X que son divorce soit la cause de son AVC, pourtant son récit lui permet d’effectuer la relance d’une narrativité qui lui permet l’inscription du « moment AVC » dans une certaine logique subjective.

Aussi, et quand bien même cette histoire ne semble pas liée avec l’AVC/AIT, elle constitue un point d’appui qu’il s’agit de soutenir dans une perspective psychothérapeutique. Plus encore, dans les cas ou l’appréhension panique d’une nouvelle « expérience AVC » devient un point de focalisation. Un geste thérapeutique pertinent peut consister à ouvrir un autre front, par un détour interrogeant la situation personnelle « pré-AVC ». En d’autres termes, il s’agit de briser la polarisation traumatique durant l’entretien psychologique. Nous constatons que cette « technique » de frayage est souvent le point de départ d’un récit de soi-même permettant – parfois assez rapidement –  une mise en perspective du choc psychique de l’AVC  devenu comme un trou noir attirant l’ensemble des pensées du patient.

Parmi les stratégies défensives, le recours phobique m’a semblé pouvoir être l’objet d’une réflexion particulière. A lire ici =>

 

Réflexions autour de deux modèles de positionnement en Espace Rencontre

Dites-moi à quoi vous tendez, pour que je sache ce que vous êtes ? Mais le philosophe peut aussi s’adresser au psychologue sous la forme – une fois n’est pas coutume – d’un conseil d’orientation, et dire : quand on sort de la Sorbonne par la rue Saint-Jacques, on peut monter ou descendre ; si l’on va en montant, on se rapproche du Panthéon qui est le Conservatoire de quelques grands hommes, mais si on va en descendant on se dirige sûrement vers la Préfecture de Police

G. Canguilhem (1958)

La pratique professionnelle et les difficultés rencontrées dans la clinique en Espace Rencontre, qu’elles concernent les usagers ou les équipes, ont nourri mes questionnements autour des notions de cadre et sa place dans les rapports qu’il entretient avec le règlement intérieur d’un Espace Rencontre. Mes réflexions m’ont amené, tout d’abord, à distinguer deux styles d’accueil en Espace Rencontre.

La première démarche semble viser principalement une intervention. Elle poursuit le projet soutenir la parentalité, elle se veut une médiation, un encouragement à l’usager de trouver ses propres solutions. Cette approche ambitionne d’être un soutien. Aussi, on cherchera plus volontiers à favoriser en parallèle des rencontres les entretiens individuels. Le positionnement clinique ici pourrait être entendu comme celui d’une proposition d’étayage. L’idée principale est que les rencontres en ER permettent au parent (visitant le plus souvent) de cheminer par rapport à sa place, voire ses responsabilités.

            Est-ce là le rôle d’un psychologue en ER ? Je l’ignore. Néanmoins, le sérieux professionnel rend indispensable, me semble-t-il, de réfléchir à la place que l’on prend et aux références sur lesquelles on s’appuie lorsque l’on se pense pouvoir offrir un soutien à la parentalité. 

            Certains intervenants se reconnaissent dans une démarche qui se veut apporter du soutien et faire évoluer les situations, voire faire cheminer les usagers.  Il me semble essentiel, dans tous les cas, que l’intervenant en ER s’intéresse au registre et la généalogie dans lequel s’inscrit l’idée d’un soutien à la parentalité. C’est encore plus vrai pour les psychologues qui considèrent les dimensions inconscientes du psychisme. Il s’agira d’affirmer et d’assumer la pertinence d’un pas de côté face aux demandes afin de considérer les pressions exercées à son endroit. Celles de l’institution judiciaire ne sauraient attendre autre chose du psychologue que de sursoir à une mission d’évaluer les « capacités parentales » des usagers qui rejoignent celles de certaines familles « Il faut que x ou y comprenne ceci ou cela »… un classique en ER !  

            Sans analyse de la demande, il apparaît difficile de distinguer le rôle du psychologue de celui d’autres professions intervenant de ce secteur (assistant social, éducateur … etc).  

            Un second modèle se revendique de la neutralité. La neutralité est bien évidemment un fantasme. Cette démarche s’entend plutôt comme une recherche d’un positionnement visant à réduire la dysmétrie impliquée par les places de chacun en ER. En d’autres termes, il s’agit de désamorcer le sentiment d’« atmosphère carcérale » qu’implique le dispositif parfois vivement ressenti ainsi par les parents visitant. La recherche de neutralité vise à favoriser l’écoute et laisser place à la « surprise clinique » trop souvent obstruée par le rapport à un « savoir psychologique ». De quoi s’autorise-t-on pour prétendre dire comment faire avec un enfant ?

            Ce modèle cherchera plutôt à situer la place de chacun dans le dispositif et à souligner la place de l’association mandatée pour organiser les rencontre dans le parcours judiciaire… Sa désignation intervient après les débats. L’association est neutre d’un point de vue formel. elle n’est évidemment pas neutre du point de vue du transfert, tant du côté des parents que du côté des équipes dès la lecture des jugements ou des entretiens préliminaires.

            Dans ce positionnement, l’ordonnance du juge est posée en extériorité, un jugement auquel nous sommes nous aussi soumis. Nous sommes là pour que puisse avoir lieu la rencontre … au même titre que les locaux et les horaires. 

            Le jugement est le véritable référent de la rencontre. Il vaut pour tous. Il est le motif de notre présence et le référent de nos actions.

Dans ce modèle, le soutien ne fait pas partie à priori de la mission des intervenants de l’ER. Cependant, les actions visant un soutien ne sont pas exclu pour autant. Loin de là. Ce qui sera important, selon moi, c’est d’essayer de rendre compte des éléments transférentiels, des demandes des usagers ou d’autres éléments qui auront gouvernés à quitter notre neutralité pour intervenir.

En résumé, le premier modèle s’autorise d’une certaine place qui légitime dans « l’avant-coup » la future intervention là où le second modèle visera à favoriser la réflexion « après-coup » sur cette dernière.

L’association met en œuvre les conditions de la possibilité des rencontres, les lieux, les calendriers, le personnel, mais aussi des modalités de fonctionnement dont le règlement intérieur est un outil indispensable.  

            Le règlement est un outil de l’organisation des rencontres, il constitue un repère et un appui concret à nos actions.

            Le règlement opère également comme une boussole clinique. En effet, quand un usager, transgresse le règlement, qu’il joue avec ses limites, qu’il le respecte scrupuleusement, qu’il se révolte contre ou encore l’accepte sur une modalité « oui mais… », ce sont là autant d’éléments susceptibles enrichir nos réflexions cliniques sur les dynamiques individuelles et familiales à l’œuvre.

            Mon expérience m’amène à penser que le modèle de soutien – dans lequel un intervenant légitime dans « l’avant-coup » une intervention qui s’appuierait sur un « savoir » (lequel ?) et une légitimité (son diplôme ?) oriente vers un certain rapport au règlement intérieur. Le règlement est entendu comme étant le cadre, et son dépassement est souvent l’objet d’une focalisation. J’ai constaté dans ma pratique combien ses effets sont délétères. Par-delà l’ornière que de se retrouver à cheval sur les points du règlement et à devoir faire la police, c’est surtout une perte de repères en ce sens que c’est la dimension de boussole clinique du règlement qui n’est dès lors plus efficiente.

            Cette fonction de boussole ne se limite pas aux repérages des dynamiques à l’œuvre chez les usagers, elle concerne tout autant les intervenants de l’ER. Le respect absolu et rigide du règlement, tout comme le non-respect de certains points de la part des intervenants devraient, à mon sens, être, là aussi, sources de réflexions cliniques. Il s’agit de repérer ce qui a gouverné à ce que l’intervenant ait décider de passer outre le règlement sur un de ses points. Dans tous les cas, le sujet du rapport au règlement ne saurait être évacué.

            Respecter le règlement ne consiste aucunement à l’appliquer à la lettre. Il s’agit d’un respect plus proche du sens de considération ou encore de reconnaissance.  On pourrait dire que respecter le règlement c’est simplement de rendre compte  de nos actions quand la clinique nous amène à une entorse à ce dernier aussi bien qu’à son application brutale.  

Pour aller un peu plus loin, il me semble fertile d’opérer une distinction entre transgression et affranchissement.

La transgression constitue en elle-même une reconnaissance de la règle car elle s‘inscrit dans une dialectique avec cette dernière. « La transgression organisée forme avec l’interdit un ensemble qui définit la vie sociale [1]» .

L’affranchissement en est l’exact contraire en ceci qu’il exclut un individu du rapport commun à la règle. On dit d’un mafieux qu’il est un affranchi, l’expression faire sa Loi prend ici tout son sens. Bref, sauf à recevoir Tony Soprano en séance, nous savons, en tant que clinicien, que s’affranchir de la règle commune résulte d’une opération psychique qui institue, sur un point au moins, une forme de toute-puissance.

Le respect du règlement (entendu comme sa considération ou sa reconnaissance) est la base sur laquelle peut prendre place le cadre. Le cadre sera entendu ici comme prenant sa source dans la subjectivité du psychologue; sa morale, sa sensibilité, son tact, son éthique, ses références, ses interprétations, son choix concernant la forme d’accueil en ER. Ce cadre subjectif s’articule, de fait, avec les règles qui fondent et organisent les rapports sociaux.

Transgresser la règle n’est en rien un « problème ». Serge Leclaire écrit « Si le psychanalyste devait se donner des lois, de transgresser serait, assurément, son commandement premier. Loin de n’être que cette infraction éminemment coupable, la transgression est, en fait, un acte fondamental et fondateur … en quoi l’on peut dire que tout l’art du psychanalyste passe nécessairement par l’exercice de ce mouvement de franchissement[2]»… Si le franchissement est souhaitable, le « a » privatif du terme « affranchissement »prend ici toute sa dimension : Dans l’affranchissement il n’y pas de franchissement puisqu’il signe l’abolition de la règle.

« Transgresser c’est passer au-delà, franchir une limite qui instaure un ordre. Le franchissement annule l’ordre présent pour en instaurer un nouveau, inscrivant par-là même une nouvelle limite à franchir[3] ». Transgresser le règlement, peut être un franchissement nécessaire et argumenté qui instaure un ordre en fonction de la clinique.  S’affranchir du règlement, peut, pour sa part, révéler un véritable débordement de la dimension subjective.

En résumé, il me semble que cette distinction entre deux notions trop souvent confondues, le cadre et le règlement, est essentielle à notre clinique.  La considération du règlement est le socle sur lequel le cadre, c’est à dire la subjectivité du psychologue, trouvera alors à s’exprimer. S’accrocher de manière rigide s’affranchir du règlement brisent la dialectique qu’il entretient avec le cadre. L’accrochage rigide incline vers un certain effacement subjectif (« c’est pas moi, c’est le règlement »). A l’inverse, s’affranchir du cadre signe une prédominance du subjectif qui fait disparaître la règle. Dans les deux cas, il n’y a plus d’espace pour la rencontre.


[1] G. Bataille, L’érotisme, Paris, Editions de minuit, 2004, p.72

[2] S. Leclaire, « À propos d’un fantasme de Freud : note sur la transgression », Revue L’Inconscient, n°1, Paris, PUF, 1967, p. 32.

[3] Filloux Janine, « La transgression de la psychanalyse et dans la psychanalyse », Topique 1/ 2009 (n° 106), p. 35.

Pourquoi je suis contre le projet remboursement des séances de psychothérapie par la sécurité sociale.

A propos du projet de réforme visant le remboursement de séances de psychothérapie chez le psychologue, il me semble dommageable de n’en retenir que l’aberration clinique que constitue le parcours de soins imposé aux patients. Idem quant à la somme dérisoire remboursée aux psychologues pour les séances prescrites. Idem pour le parcours administratif ubuesque tant pour le patient que pour le psychologue qui choisirait de se conventionner (le retour d’une collègue en vidéo). Discuter ces points précis c’est déjà, selon moi, s’embarquer sur un terrain qui ne correspond pas à l’idée que je me fais de ma profession.  

            De quoi est-il question derrière la bonne volonté affichée d’offrir au plus grand nombre des soins psychiques chez le psychologue ?  

            Quoique pas évident à première vue, le premier des intérêts est bien entendu économique. Il s’agit de répondre à moindre frais à la souffrance psychique de la population que la crise du Covid a plus encore mis en lumière. Pour s’en convaincre, nous pouvons poser une question toute simple : Pourquoi ne pas ouvrir de nouveaux Centres Médico Psychologiques  et/ou y embaucher des psychologues ? La réponse ne fait aucun doute ; ça coûte cher ! Le recrutement de 160 psychologues en CMP annoncé par Olivier Veran lors du Ségur de janvier (soit 1,6 par territoire…!!!) est en revanche une opération de communication à bon prix.  

            Le second intérêt de ce dégagement des soins psychiques vers le privé me semble être la marge de manœuvre qu’ouvre pour les pouvoirs publics la possibilité d’ajuster chaque année – en fonction de ce qu’ils estimeront être la demande – les protocoles mis en place. Ajustement du nombre de séances, ajustement des remboursements ou du parcours de soins plutôt que des créations de postes qui imposeraient à l’État un financement fixe sur le long terme.  

            Être favorable au remboursement des séances prescrites en s’inquiétant uniquement de leurs montants équivaut, sur le fond, à accepter pour notre profession un dégagement du public vers le privé que nous avons vu à l’œuvre pour tant d’autres professions. Quoi de plus normal que notre profession soit logée à la même enseigne que les autres, me direz-vous ? Oui, sauf qu’adopter un tel point de vue serait, à mon sens, ne pas entendre ce qui fait la spécificité de notre métier. C’est sur ce point que la réforme fait ressortir plus encore les profondes divisions de notre champ professionnel. Accepter ce projet de protocole est possible évidemment pour ceux qui pensent obtenir un résultat en X séances.  La réforme est acceptable également pour ceux qui s’inscrivent dans une démarche d’évaluation et d’orientation. 

            Pour les autres, qui refusent a priori – avant la rencontre clinique – de se dire « capables » de « résultats » ou qui refusent de s’inscrire dans la démarche d’évaluation attendue, une question éthique se pose quant au contrat passé avec les institutions.

            Bien entendu, il est toujours possible d’échanger avec les patients sur le cadre qu’implique le protocole de remboursement. Néanmoins, accepter le protocole serait souscrire à l’idée sous-jacente du projet : Au-delà de ce nombre X de séances, si ça n’a pas donné de « résultats », si le patient ne répond pas « positivement », c’est donc qu’il souffrirait de « quelque chose de grave ». Même si le psychologue ne l’entend pas de cette oreille, c’est ainsi que seront perçus par les autorités sanitaires les « résultats » au bout du protocole. 

Le parcours de soins ubuesque qui ressort de ce projet n’est, selon moi, pas vraiment le sujet. Il n’est que l’illustration de la manière dont les institutions sanitaires considèrent les individus, ceux qui « répondront » aux protocoles de soins et les autres. Accepter ce projet c’est, selon moi, avaliser une certaine considération de la personne. Pour ces raisons, je suis contre le remboursement des séances.